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Yann Tatibouët

Un embrun de conversation...

                                                  Sur le pont ! àr ar pont !


J'ai le plaisir d'écrire chaque été une chronique humoristique dans la revue bonoviste "Sur le pont" !

                                                 Voici celle de l'été 2013 :

    Ah ! donner un nom à une nouvelle rue ! En voilà une belle occasion de faire la fête : on découvre la plaque, on coupe un ruban, Monsieur le Maire embrasse la centenaire du village, des cacahuètes dans la moustache (toute ressemblance avec un personnage réel serait purement fortuite), et sautent les bouchons de champagne ! Pour sûr, un grand moment de joie et surtout une opportunité de rendre un hommage, posthume ou non, à un grand homme. 
    Encore ne faut-il pas se tromper d’homme, surtout par les temps qui courent.
    En effet, il peut arriver que l’on se rende compte que l’on a été trop rapide dans le choix du héros. Ainsi, le centre du Trésor Public de Ponction-sur-Impôts, petite commune proche de la Suisse, ne pourra dorénavant plus porter le nom de Jérôme Cahuzac. 
    Nos amis allemands ont été aussi un peu vite en besogne et vont devoir débaptiser en urgence toutes les rues portant le nom de la série télévisée culte Derrick depuis que l’on sait que son acteur principal, Horst Tapper, avait eu au début de sa carrière un petit rôle dans la Waffen-SS. 
    Surtout que parfois la procédure pour faire marche arrière peut prendre des années : la dernière rue Pétain vient seulement de recevoir une nouvelle appellation. Il en aura fallu du temps. Ceci-dit, si l’on avait attendu encore un peu, il n’y aurait plus eu grand monde de vivant pour rappeler la malheureuse poignée de main du maréchal avec un petit caporal à Montoire en 1940. Et la France aurait pu continuer à commémorer sans trouble-fêtes la mémoire du vainqueur de la glorieuse boucherie de Verdun ! 
    Seulement voilà, si on ne plus honorer sous le principe de précaution les acteurs et les hommes politiques, il ne reste plus beaucoup de candidats. On pourrait être tenté de s’intéresser aux sportifs mais là encore je dis attention ! L’avenue Lance Armstrong doit être à proscrire à moins bien sur qu’elle ne soit bordée de pharmacies ou qu’elle ne reçoive une de ces nouvelles salles de shoot promise par le gouvernement. Méfiance toujours pour la place Franck Ribéry sauf si les pavés de ladite place sont arpentés par des femmes de petite vertu mais au grand cœur.
    Et les écrivains me direz-vous… Les écrivains morts surtout, parce que de leur vivant ils pourraient encore écrire des âneries. Eh puis en France, on en a plein des écrivains. C’est pratique. Seulement il vaut mieux avoir lu leur œuvre avant de s’aventurer à les glorifier. 
    Par exemple, une rue Georges Sand sera à éviter en Bretagne après son aimable déclaration sur ses habitants. Dans une lettre à son ami Gustave Flaubert, elle écrivait à propos des Bretons : « Eh bien, c’est laid, ces hommes du passé avec leurs culottes de toile, leurs longs cheveux, leurs vestes à poches sous les bras, leur air abruti, moitié pochard, moitié dévot. » Ceci-dit le susnommé Flaubert ne pourra pas plus prétendre aux honneurs d’une rue armoricaine : « Je vous trouve un peu sévère pour la Bretagne. Non pour les Bretons, lesquels m’ont paru des animaux rébarbatifs, des porcs peu aimables. » Le problème avec certains porcs, c’est qu’ils ont de la mémoire.
    De même, si l’on respecte les femmes bretonnes, il faudra aussi prohiber la Marquise de Sévigné : « Les femmes de ce pays sont si sottes. » Et alors que dire d’Alphonse Daudet si l’on respecte les femmes bretonnes de Houat : « Ce pauvre village morbihannais vous fait penser à quelque douar africain ; c’est le même air étouffé, vicié par le fumier qu’on entasse sur les seuils, la même familiarité entre bêtes et gens. »
    Décidément, quand ça veut pas, ça veut pas… 
    Il y a quand même un homme à qui l’on pourrait donner sans risque le nom d’une rue. Celui-là était aussi raciste que les précédents mais au moins il fait encore rire longtemps après sa mort. Il s’agit du journaliste Francisque Sarcey qui en 1890 déclarait résolument : « Les paysans bretons sont si ignorants qu’ils croient en l’influence de la Lune sur les marées. » 
    Je comprends mieux à présent certains énarques de La Poste qui baptisent les nouvelles voies de noms d’oiseaux. Ce n’est pas par total manque d’imagination ou pour enlever les noms bretons d’origine comme le prétendent certaines mauvaises langues mais tout simplement pour ne pas prendre de risque. Effectivement, on n’a jamais vu un goéland bourrer les urnes d’une élection, une mouette faire de la remballe de viande périmée ou un macareux oublier de laisser son adresse après être rentré dans un véhicule en stationnement. Quoiqu’à bien y réfléchir, des rapaces, il y en a aussi parmi les volatiles…

                                                    Celle de l'été 2012 :

    Avec l’été, voici le temps revenu des touristes avec des sandalettes aux pieds, des coups de soleil aux épaules et des belles perles sur le bout de la langue. Je ne parle bien évidemment pas de ces concrétions rondes d’un blanc nacré qui se forment dans certains coquillages, mais de celles tout aussi précieuses qui font encore rire dans les chaumières longtemps après avoir été prononcées : requêtes farfelues, exclamations loufoques et autres sollicitations ridicules.
    Et les meilleurs endroits pour ramener une bonne godaille de ces perles sont les offices de tourisme. Certes, vous pourrez toujours récolter une telle rareté à la terrasse d’un café - il vous sera alors difficile de la différencier d’une brève de comptoir -, mais les hôtesses chargées de renseigner les visiteurs néophytes sont assurément aux premières loges. En voici la preuve.   
    Parfois, le service n’est pas à la hauteur des espérances. Ainsi, une estivante, certaine de son bon droit, avait loué « les pieds dans l'eau » et ne comprenait pas pourquoi la mer était si loin de son petit pied-à-terre : à marée basse ! Je me suis laissé dire qu’avec un peu de patience tout était rentré dans l’ordre. Toujours à propos de ce drôle d’océan qui ne tient pas en place, une autre dame de s’insurger après une visite à Douarnenez contre le fait « qu’on a vidé les bassins sans rien dire ». Sans doute était-ce la même qui a demandé très sérieusement « les heures d’ouverture de la mer » ou qui s’est inquiétée de savoir si « les horaires de marées sont à l’heure touristique ? Parce que vous comprenez, si c'est l’heure d’hiver, c’est décalé d’une heure... ». 
    En tant qu’hôtesse d’accueil, il faut être prête à répondre à toutes les questions, de celle du mormon pudique : « Y a-t-il des plages où les gens restent habillés ? », cachez ce raz de Sein que je ne saurais voir, à celle de l’allergique prudent : « Savez-vous à quelle heure passent les méduses ? », en passant par celle de la maman qui rame tout autant avec son adolescent qu’avec le vocabulaire : « Mon fils veut prendre des cours d’optimisme, vous avez des contacts ? » ou par celle de l’épicurien qui souhaite joindre l’utile à l’agréable : « Le muscadet, il est remboursé par la Sécurité sociale en Bretagne ? ».
Mais parfois, et malgré la meilleure volonté du monde, il faut accepter la défaite et admettre qu’on ne pourra pas satisfaire certains souhaits : « C'est combien pour aller aux Glénan en voiture ? » ou « Pouvez-vous nous dire quand ouvrent les pistes de ski des monts d’Arrée et nous donner les tarifs des forfaits des remontées ? ».     
    Et puis il y a aussi ces drôles de coutumes des autochtones bretons qui décidément ne font rien comme les autres. La gastronomie locale laisse à désirer : « On a aimé les huîtres, mais la salade était un peu dure » (c’est bien connu, le goémon c’est coriace sous la dent) ou encore « Mais si, je vous dis que j’ai déjà mangé du korrigan. C'est d’ailleurs excellent ». Et que dire de la tenue vestimentaire ? « Où est-ce qu’on peut voir des Bretonnes habillées ? ». Comprendre habillées en costume traditionnel… 
    Enfin, et ce malgré l’époque des vacances propice à la nonchalance, certaines exigences sont pressantes : « Mettre du papier dans les WC ! ». C’est vrai, de l’hygiène, on ne peut pas comme Ponce Pilate toujours s’en laver les mains. 
    La réalité dépasse donc souvent la fiction. S’il était encore nécessaire de vous en convaincre, je précise qu’une seule de ces perles est née de mon imagination… Mais au fait, laquelle est-ce ? 

                                                 
                                                   Celle de l'été 2011 :



    À chaque époque, à chaque peuple ses croyances. Celles des Bretons au XIXe siècle sont issues d’une longue tradition. Leurs racines ont poussé dans différents terreaux empilés les uns sur les autres depuis la nuit des temps, tant et si bien qu’il est souvent impossible de déterminer à quelle période a été plantée la graine. Les menhirs sont probablement l’exemple le plus frappant dans ce domaine (et je ne fais pas là référence à la manie d’Obélix de les projeter sur son voisin). La Préhistoire nous les a légués. L’imaginaire des Celtes s’est nourri de ces pierres levées, et les druides les ont intégrées dans leur culte. Le catholicisme a christianisé ceux qu’il n’a pu abattre. Rien ne se perd, mais tout se transforme pour mieux s’adapter à son temps. 
    Il en de même pour les fontaines où la guérison coule de source : jadis lieux sacrés, elles sont encore aujourd’hui renommées pour leurs vertus thérapeutiques, bien qu’il soit souvent difficile de savoir si ces vertus viennent du saint qui les patronne ou de l’eau elle-même. Inutile donc d’aller à Vichy – dont les eaux sont chargées en bicarbonate de sodium, en gaz carbonique et en oligo-éléments –, pour soigner votre estomac ou votre intestin, il suffit de se rendre à la fontaine Saint-Julien en Loire-Atlantique réputée pour soigner les maladies digestives. Je déplore néanmoins que, malgré mes nombreux courriers, cette cure ne soit toujours pas remboursée par la Sécurité Sociale. Allez comprendre…
    Dans notre paroisse, Notre-Dame de Béquerel fut construite à l’emplacement d’une source qui jaillit sous l’autel avant d’aller alimenter la fontaine attenante à l’édifice. On s’y rend toujours pour boire son eau fameuse pour soulager les affections de la bouche. Jadis, elle soignait aussi les langues de vipères, particulièrement celles qui exerçaient leurs talents pour calomnier le recteur. Les pénitentes devaient en plus passer le balai sur le sol de la chapelle. Les mauvaises langues (qui forcément n’avaient pas encore bu de son eau…) disaient que cette chapelle était la plus propre de Bretagne.
    D’autres fontaines font des révélations, des oracles ou des prédictions. Par exemple, celle de Saint-Efflam est consultée par les maris jaloux. La méthode est fort simple : il suffit d’y déposer trois morceaux de pain : le premier les représente eux-mêmes, le deuxième la personne jalousée, et le troisième le saint. Si ce dernier se rapproche des deux autres, les soupçons ne sont pas fondés ; mais s’il s’en éloigne, le consultant doit se faire une raison : il ne tardera pas à se gratter la tête là où poussent les cornes. Messieurs, inutile de me demander l’adresse précise, le site est déjà noir de monde…
    Ces pratiques peuvent aujourd’hui nous faire sourire. « Il faut être rationnel » me lançait l’autre jour Monsieur Cartésien tout en remplissant sa grille de loto. J’aurais certes pu lui préciser que ses chances de gagner le gros lot étaient de 1 contre 13 983 816, mais j’ai préféré méditer cette citation de Yann Brékilien : « Certes, l’accomplissement des rites à la fontaine dédiée à un saint ne procurait pas toujours la guérison, mais croit-on que les traitements des médicastres (médecins ignorants) de l’époque l’apportaient plus souvent ? On ne doute pas de la médecine parce qu’elle ne sauve pas toujours le malade ; pourquoi aurait-on douté du pouvoir des saints, même s’ils n’exauçaient pas toutes les prières ? ».


                                                   Celle de l'été 2010 :

    À raison de 49 heures par année, un très sérieux institut de sondage d’outre-Manche nous révèle que les Britanniques passent en moyenne six mois de leur vie à parler de la météorologie. J’entends d’ici les commentaires : on s’ennuie ferme du côté de la perfide Albion, ils n’ont vraiment rien à faire... L’explication serait d’ailleurs fort simple : les malheureux n’auraient d’autres sujets de conversations. La faute en incomberait à la gastronomie (ou plus exactement à l’absence de gastronomie diraient assurément certains becs fins et mauvaises langues) ou au caractère discret des autochtones les empêchant de discourir des dessous de la mode ou de la mode des dessous. Point de gauloiseries au pays de Sa Très Gracieuse Majesté ! 
    Tout cela est certainement exact. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’est pas certain que la situation en petite Bretagne soit fort différente.
    Ce fait n’est d’ailleurs pas nouveau. Dans la société traditionnelle bretonne, la connaissance des aléas de la pluie et du beau temps était essentielle pour des agriculteurs et des pêcheurs. Celui qui pouvait traduire les signes du ciel savait quand semer et quand récolter, quand sortir en mer et quand rester à quai. Les innombrables proverbes que nous ont légués les anciens traduisent cet état de fait : « Brume de mer, chaleur qui couve » (Brumenn vor, tommder en gor) ou « Soleil blanc donne de la pluie, et soleil rouge du beau temps » (Heol gwenn a ro glav, hag heol ruz amzer vrav).
    La météo influait aussi sur le comportement des humains : « Le vent du sud-est met le désir au cœur des femmes » (Pa vez an avel e gevred e sav c’hoari d’ar merc’hied). Assurément, malgré son orientation, ce vent ne venait pas du Vatican… 
    Nos ancêtres savaient également être philosophes : « Que le vent souffle où il voudra, s’il tombe de la pluie, elle mouille toujours » (Bezañ an avel e lec’h ma kero, pa ra glav e gleb atav).
    Aujourd’hui, notre pain quotidien est nettement moins tributaire des caprices du temps que jadis. Ce qui est d’ailleurs heureux si l’on songe que les saisons ne sont plus ce qu’elles étaient. Du moins si j’en crois le présentateur qui, de sa petite lucarne, m’informe quotidiennement qu’il y aura ENCORE de la pluie en Bretagne, alors qu’en réalité il n’y aura qu’un petit crachin rafraîchissant vers Brest sur le coup de midi, ou une bruine vivifiante sur Saint-Malo entre 17 h 17 et 17 h 23. Le reste de la journée et partout ailleurs, il fera beau avec juste quelques nuages aux inépuisables nuances de gris. 
    Sait-il seulement, ce bonimenteur de l’audimat, qu’à bien y réfléchir la météorologie n’est que la science chargée de prévoir le ciel qu’il aurait dû faire si elle ne s’était pas trompée ? Les erreurs des prévisionnistes peuvent d’ailleurs avoir de fâcheuses conséquences sur l’emploi du temps de nos contemporains comme me l’expliquait récemment un marin de mes amis qui a dû, l’âge venu, posé sac à terre : « C’est parce que j’écoute la météo que je ne sors plus du bistrot. » Je dois préciser qu’il disait en activité : « En rentrant au port, le rouge est à bâbord, le vert à tribord et le verre de rouge à ras-bord. » Bref, un sage.
    Je dois bien admettre qu’il est actuellement fort difficile de démêler les volontés de Dame Nature. Ah ! de mon temps tout était plus simple : il faisait froid en hiver et frais en été. Mais plus rien n’est comme avant. La faute au réchauffement climatique qu’ils disent dans les journaux. Peut-être… Ce que je ne comprends pas très bien néanmoins, c’est qu’en guise de réchauffement j’ai plutôt l’impression que mon baromètre a subi un coup de froid ces dernières années. Je ne dois d’ailleurs pas être le seul à penser que le soleil s’est pris les pieds dans ses rayons puisque de nouvelles expressions se répandent : « Ours polaire sur la vasière, enfile ton pull-over » ou « En avril ne te découvre pas d’un fil, les mois suivants garde ton caban ». 
    Allons, restons confiants ! Le mois de mai nous a réservé de belles surprises, et l’été en fera certainement autant. Mais, même en cas de canicule, nul doute que nous verrons dès la première ondée se promener de très élégantes touristes parisiennes en cirés jaunes estampillés Cotten avec de jolies bottes en caoutchouc bleu. Vivement juillet !

                                                                            Celle de l'été 2009 :


  Et si nous parlions de toponymie ? Inutile d’éloigner les enfants, ce n’est pas un gros mot. Il s’agit simplement de la science qui se consacre à l’étude de l’origine et de l’étymologie des noms de lieux. Rébarbatif, voire barbare, seriez-vous tentés de me dire ? Ce serait aller un peu vite en besogne car à y regarder de plus près elle peut s’avérer riche d’enseignements, surtout en Bretagne. En effet, je ne saurais trop vous déconseiller de construire votre maison à Kêravel (le village du vent) si vous êtes sensibles aux courants d’air, ou à Toullfank (le trou de gadoue) si vous n’affectionnez les bains de boue qu’en thalassothérapie.
     Instructive, la toponymie peut aussi prêter à sourire. En effet, un lieu ne porte jamais un nom par hasard, et si l’écriture de ce nom est modifiée il en perd son sens. Ainsi, le propriétaire du lieu-dit Bel-Air aurait tort de vanter la qualité de l’atmosphère de son lopin car il vit en réalité les pieds dans le cresson (beler en breton) plus réputé pour soigner la calvitie que les maladies respiratoires. De même, l’automobiliste ferait certainement mieux de surveiller sa droite plutôt que de se pourlécher les babines en s’imaginant déguster une délicieuse viennoiserie au lieu-dit Croissant (un carrefour se dit kroashent), et le vacancier de se munir de bottes plutôt que d’un oreiller à la Couette (koed signifiant bois). Je précise aussi - et même si c’est regrettable - qu’aucun jumelage n’ayant eu lieu entre Plougoumelen et Nairobi, l’une de nos zones industrielles préférées ne peut raisonnablement s’écrire Kenya.   
    Les noms de lieux doivent assurément être respectés. Des siècles d’évolution rendent d’ores et déjà suffisamment difficile, voire impossible, la compréhension de certains d’entre eux pour que nous les martyrisions davantage. La francisation d’un toponyme est particulièrement à proscrire. Notre péninsule armoricaine n’a nul besoin que l’on extirpe à nouveau de son sol ses racines celtiques. Malgré la supplique récente d’un haut fonctionnaire implorant la population autochtone de renoncer à écrire sur son courrier l’apostrophe des noms de lieux bretons (les savantes machines postales ne pourraient lire ledit apostrophe que dans les noms français !), continuons d’écrire sur nos enveloppes timbrées Crac’h et non Crach, Brec’h et non Brech, et gageons que notre courrier parviendra à destination. Allons, Monsieur de l’Administration, je suis tout prêt à retirer ces perfides supputations, surtout si vous intervenez pour rendre à ma rue son nom d’origine - la rue du Ménihy - qui ne se remet toujours pas d’avoir été rebaptisée la rue des Goélands, car voyez-vous les Bretons n’aiment guère être affublés de noms d’oiseaux.

                                                                            Celle de l'été 2008 :

    On me demande parfois à quoi sert encore de parler breton, ou même d’être bilingue, à l’heure de la mondialisation. Je m’étonne de cette question : se demande-t-on pourquoi on respire ou pourquoi on aime ? La surprise passée, je réponds à ceux qui aiment la terre qu’un arbre ne peut pousser sans racines, à ceux qui vont sur l’océan qu’un poisson d’eau de mer ne peut vivre dans l’eau douce, à ceux qui se tournent vers le ciel que la pluie doit alterner avec le soleil.    
    J’évoque aussi le respect qu’on doit aux ancêtres, le fait qu’on ne peut courir vite sur une seule jambe, ou le bénéfice professionnel qu’en retirent ses locuteurs. Il y a déjà là matière à penser… 
   Mais à la vérité, la meilleure raison, le bon argument, c’est que la langue est le reflet de l’esprit d’un peuple. Elle traduit et structure la manière de penser des personnes qui la pratiquent. Tuer la langue, c’est tuer l’identité en la dissolvant dans un moule. 
    Les proverbes et les dictons sont l’épiderme de cette identité et ne sont compréhensibles qu’à ceux qui la pratiquent. En effet, un vétérinaire anglais risque de vous regarder de travers si vous lui affirmez avoir d’autres chats à fouetter, la puce à l’oreille ou une cervelle d’oiseau. Un psychiatre allemand vous accordera toute son attention si vous lui confiez avoir avalé votre langue, avoir bon dos mais aussi avoir un petit vélo dans la tête.
    Pour nous replonger dans l’esprit breton, je vous propose un échantillon d’expressions centrées autour de la mer, dont certaines, traduites en français, s’entendent parfois encore dans nos conversations :

Pa vez ar siren é kaniñ
E c’hell martolod paour goueliñ.
Quand la sirène chante
Pauvre matelot peut pleurer.

Pakañ pesked e-barzh ar soubenn.
Attraper des poissons dans la soupe.

Pa brosmolo ar mor,
Paourik, serrit ho tor.
Quand la mer grondera sourdement,
Fermez votre porte, pauvres gens.

Hennezh zo un den kapet
A c’hell beuziñ pesked.
Ça c’est un homme capable
Qui arrive à noyer des poissons

Ar vag ne sent ket ouzh ar stur
Ouzh ar garreg a ray sur.
Le bateau qui n’obéit pas au gouvernail
Le fera sûrement au rocher.

Roeñvat àr gornôg.
Ramer vers l’ouest (mourir).

Monet da besketa ar wrac’h-gozh.
Aller à la pêche à la loche (perdre son temps).

Pa val ar vilin diàr ar c’hoad
Vez trist doare ar merdead.
Quand le vent de terre fait tourner le moulin
Le sort du marin est triste.

Ar pezh a za get ar mare lañv
Get ar mare a dre er-maez a yay.
Ce que la mer apporte en montant,
Elle remporte en descendant. 

    Oui, la langue française que nous utilisons aujourd’hui est bel et bien marquée par le breton. Elle subit aussi l’influence du parler marin qui habite les quais du Bono malgré la raréfaction des matelots. Si vous avez grandi sur les bords du Sal, il est probable que vous n’aurez pas besoin de la traduction pour comprendre ce récit (En ce qui concerne le héros de cette histoire, toute ressemblance avec un personnage réel serait fortuite, mais néanmoins savoureuse…) : 
    « Un homme bien étarqué, marié avec une tape-dure, rencontra une demoiselle avec une belle paire de bossoirs. Le gaillard d’avant l’émoustilla et il la regarda avec des yeux de merlan frit, espérant changer son poisson d’eau. 
    Rejeté par la belle, mal bordé, montrant une gueule de tangon, il alla boire une mémé pour se consoler. 
    Seulement, il n’avait rien dans le fanal, et il eut rapidement du vent dans les voiles puis quelques tours de rouleaux. Autrement dit, il était gréé pour aller au plain, et plein comme un rigadot. Un vilain tour dans son câble, pâle des ouïes, il alla vider le canot dans le port.  
    Inutile de vous dire qu’il reçut en rentrant une par’à virer de la main de son épouse, puis ramassa une soupe de grondins. »
    Ce qui revient à dire en termes de marin d’eau douce : 
    « Un homme bien habillé, marié avec une femme sévère, rencontra une demoiselle avec une belle poitrine. La poitrine l’émoustilla et il la regarda d’un air niais, espérant tromper son épouse. 
    Rejeté par la belle, de mauvaise humeur, faisant la tête, il alla boire un litre de vin rouge pour se consoler.
    Seulement, il était à jeun, et il fut rapidement pompette puis ivre. Autrement dit, il avait plein son nez, et était rond comme une queue de pelle. Malade, n’étant pas dans son assiette, il alla uriner dans le port.
    Inutile de vous dire qu’il reçut en rentrant une baffe, et qu’il se fit enguirlander. »

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